Tribune : « Ne laissons plus les GAFA s’emparer des données européennes ! »

Lire la lettre ouverte que je cosigne dans le journal La Tribune du 28/07/2020. 
(Photo – Crédits : DR)
52 personnalités du numérique et responsables politiques s’adressent à Cédric O, Secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Mailo, un service de messagerie « européenne sécurisée et souveraine », a pris l’initiative de cette tribune pour pousser un cri d’alarme. Son équipe est un témoin privilégié d’un gigantesque système de prise de contrôle de nos données organisé par les GAFA, constituant un véritable danger pour la souveraineté européenne. Dans une époque marquée par le Covid-19 qui nécessite une relance énergique, cette tribune affirme l’urgente nécessité de mener une politique protectrice et stratégique visant à reconquérir notre souveraineté numérique. 

En l’espace de deux décennies, les « GAFA » ont éteint toute compétition digne de ce nom. Ils ont monopolisé les secteurs de la messagerie, des réseaux sociaux, de la communication, des moteurs de recherches, des smartphones… en construisant de véritables Empires numériques. Leurs points communs ? Ils sont tous américains, et reposent sur l’exploitation de milliards de données. Avec une insouciance totale, nous autres, Européens, utilisons quotidiennement ces plateformes et permettons à des milliards de données de traverser l’Atlantique pour être stockées sur le Cloud américain. Ces données, ce sont nos conversations privées ou professionnelles, nos données sanitaires, et même des informations intérieures de haute importance.

Si la crise du Covid-19 a révélé l’extrême dépendance de nos productions de masques, de gel et de médicaments vis-à-vis de l’étranger, elle doit aussi précipiter des mesures concrètes pour préserver notre souveraineté numérique qui se dégrade jour après jour. C’est notre liberté collective qui est en jeu.

L’Europe, victime d’une bataille mondiale du numérique ?

Le secteur des données est incroyablement déséquilibré en faveur des États-Unis et de la Chine, au sein duquel l’Europe fait pâle figure. En 2018, Amazon, Microsoft, Alibaba, Google et IBM détenaient ni plus ni moins que 76,8% du marché mondial du Cloud (selon Gartner). Et non seulement ces mastodontes pillent nos données, mais ils rachètent aussi à tout-va nos entreprises les plus prometteuses à coup de millions de dollars. Force est de constater que nous sommes les idiots utiles d’une bataille numérique mondiale.

Ce déséquilibre se nourrit de nos habitudes quotidiennes. Lorsque nous écrivons un e-mail, activons notre géolocalisation, visionnons des publicités…, nous envoyons des données stockées dans des serveurs américains, permettant aux GAFA omniscients d’en tirer d’immenses bénéfices. Prenons un secteur qui nous est cher : la messagerie. Google, avec Gmail, a la capacité d’analyser et de lire l’intégralité de nos messages « privés » et de revendre ces données à d’autres entreprises. Même la DGSI, le cœur des renseignements français, a récemment décidé de continuer de travailler avec le géant américain Palantir, tandis qu’une grande partie de notre administration publique échange des mails à travers… Microsoft.

Or, comprenons bien que ce qu’on appelle une « donnée » n’est pas une simple information numérique. C’est une ressource, un trésor numérique national, le pétrole d’aujourd’hui ! Les données sont aussi importantes que la découverte et l’exploitation de ressources naturelles. En fournissant gratuitement nos données aux GAFA, nous alimentons aussi le développement de leurs programmes d’intelligence artificielle, et nous prenons un immense retard dans ce qui constitue la prochaine révolution économique et industrielle déjà en cours, et dont nous dilapidons la matière première. Alors, agissons dès maintenant.

Un État protecteur et stratège est plus que jamais nécessaire.

L’objectif est donc clair : maintenir nos données sur notre sol en faisant émerger des services alternatifs. Malheureusement, l’Europe se limite aujourd’hui à un rôle de régulateur, à l’heure où les États-Unis (avec le CLOUD Act) et la Chine (avec le bannissement des GAFA) mènent une politique agressive. En France, les mesures fiscales et de relocalisation de certaines données publiques mises en place sont largement insuffisantes. Alors ne nous limitons pas à de grands discours, agissons !

Nous avons besoin d’un État à la fois protecteur et stratège. Protecteur parce qu’il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger massivement nos données. Stratège parce qu’une vision long-termiste est nécessaire pour définir notre stratégie numérique. Si nous n’agissons qu’au fil des événements, à coup sûr nous perdrons !

Pour obtenir ce cadre protecteur au niveau de l’UE, utilisons la même méthode concrète que pour la taxe GAFA : commençons par la France, donnons l’exemple en Europe par des dispositions courageuses. C’est dans cet esprit que nous vous appelons, Monsieur le Ministre, à créer un label « NSF » (« Numérique Souveraineté France ») décerné aux services internet français vraiment respectueux de nos données personnelles. Ce label devra s’obtenir selon 4 critères essentiels : le premier est le respect des réglementations françaises en matière de données personnelles. Le second est l’hébergement en France des données des internautes français utilisant le service. Le troisième est que la maison mère de l’éditeur du service paye ses impôts en France. Le quatrième est de ne pas être contraint par une législation étrangère sur le sol français (comme le CLOUD Act). La mise en place sans tarder à l’échelle nationale du label « NSF » doit préfigurer la mise en place d’un « NSE » (« Numérique Souveraineté Europe ») qui devra suivre au plus vite.

L’objectif de ce label n’est pas seulement réputationnel, il consiste à mettre en lumière et à valoriser les entreprises qui œuvrent dans le sens de notre souveraineté numérique et qui créeront de nombreux emplois. Les pouvoirs publics doivent aussi avoir une démarche déterminée pour encourager les sociétés labellisées et notamment en utilisant leurs solutions dans l’administration.

Ce label ne serait bien entendu qu’une première étape, un socle essentiel, avant la mise en place d’une politique numérique souveraine et ambitieuse, à laquelle nous sommes résolument prêts à contribuer par des propositions très concrètes.

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/ne-laissons-plus-les-gafa-s-emparer-des-donnees-europeennes-853782.html

____

(*) Signataires :

  • Florent Barre, Quorum
  • Florian Bercault, Estimeo
  • Owen Simonin, Hasheur
  • Sajida Zouarhi, Ingénieure Blockchain
  • Jean-Manuel Rozan, Cofondateur Qwant
  • Thierry Grillot, CEO Linkello
  • Thomas Fauré, Président Whaller
  • Christophe Coquis, Directeur Geek Junior
  • Laurent Denel, CEO OpenIO
  • Arnaud Touati, Hashtag Avocats
  • Léonidas Kalogeropoulos, Délégué Général de l’Open Internet Project (OIP)
  • Frédéric Sitterlé, Directeur Général HETIC
  • Jean-François Husson, Sénateur Meurthe-et-Moselle
  • Robin Reda, Député de l’Essonne
  • Fabrice Lenoble, Directeur Général Teachreo
  • Thomas Saint Aubin, Président Privacy Tech
  • Olivier Marec, Ancien Président de l’ADI
  • Bertrand Badré, Ancien DG Banque Mondiale
  • Ronan Le Gleut, Sénateur Français de l’étranger (Berlin)
  • Raphaël Richard, CEO Neodia
  • Pascal Gayat, CEO Digital Influence – Cofondateur de Play France
  • Alain Garnier, CEO Jamespot
  • Marc Watin-Augouard, Général – Fondateur du FIC Cybersécurité
  • Thierry De Vulpillières, Cofondateur & Directeur Général Evidence B
  • Jean-Marie Cavada, Ancien Député européen – Président de l’Institut IDFRights
  • Pierre Moorkens, Président de l’Institut Neurocognitivism
  • Pierre-François Petrignani, Président Educastream
  • Jean-Luc Lagleize, Député Modem
  • Christine Hennion, Députée LREM
  • Christophe Agnus,CEO Nautilus
  • Laurent Gayard, Auteur de « Bitcoins, GAFA, vie anonyme sur Internet »
  • Nathalie Moulin, Entrepreneure – Conseillère Municipale Chatou
  • Laurent Hartung, CEO Hartung & Co
  • Jean-Christophe Lagarde, Député – Président de l’UDI
  • Jean Spiri, Co-auteur de l’essai « Demain Tous Estoniens? »
  • Jérôme Bondu, Directeur de Inter-migere Consulting
  • Geneviève Bouché, Forum de l’Athena – Coordonnatrice think tank numérique
  • Yves Gernigon, Président du Parti Fédéraliste Européen
  • Jean-Christophe Denis, Architecte Ciber-sécurité de Walix
  • Arnaud Créput, CEO Smart AdServer
  • Benjamin Jayet, Président de GibMedia
  • René Sylvestre, Fondateur de l’Etudiant
  • Jean-Michel Mis, Député LREM de la Loire
  • Alexandre Zapolsky, Président de Linagora
  • Quentin Adam, CEO de Clever Cloud
  • Violaine Champetier de Ribes, Co-auteur de l’essai « Demain Tous Estoniens?« 
  • Sylvain Berrios, Maire de Saint-Maur-des-Fossés
  • Paul Christophe, Député Agir du Nord
  • Yannick Ponce, Président de In Memoris Fondation
  • Sébastien Roussel, Fondateur de « arobase.org »
  • Pascal Voyat, Cofondateurde Mailo
  • Philippe Lenoir, Cofondateur de Mailo